14 juillet, 2014

Pays-Bas : vers « l’ajustement » des règles de l’avortement tardif et de l’euthanasie des nouveau-nés

Les règles néerlandaises à propos de la mise à mort de bébés très handicapés ou malades en fin de grossesse ou après la naissance ne sont pas assez claires, selon un rapport d’évaluation soumis au Parlement en septembre dernier. Cet état de fait conduit les médecins qui la pratiquent à ne pas signaler les occurrences, moyennant quoi ces actes échappent à tout contrôle. Que faire ? La réponse est simple : changer les règles et – en fait – les assouplir afin que les praticiens n’aient plus à avoir peur d’éventuelles poursuites.

Ivo Opstelten
Edith Schippers
C’est ce que viennent d’indiquer le ministre de la Justice, Edith Schippers, et celui de la Sécurité et de la Justice, Ivo Opstelten, dans une lettre adressée le 10 juillet au président de la Deuxième chambre des états-généraux, en soulignant que les points difficiles soulevés par le rapport vont devoir être réglés. En vue d’assurer la « protection de la vie la plus vulnérable » – ça ne s’invente pas.

Avortement tardif et néonaticide

Il est intéressant de noter d’emblée que les cas d’avortement tardif pour raisons médicales font l’objet d’une évaluation commune avec ceux de la « terminaison de la vie » très précoce. Le terme employé en néerlandais n’est pas celui d’« euthanasie » ; j’emploie faute de mieux le mot « terminaison » pour indiquer « l’acte de mettre fin ». Sur le plan éthique, il est clair qu’on n’y fait pas de différence fondamentale entre l’avortement très tardif (après 24 semaines d’aménorrhée, le délai légal de l’avortement aux Pays-Bas) et l’infanticide précoce, qui sont « justifiés » pour les mêmes motifs et que les médecins doivent théoriquement signaler à une même commission générale de scientifiques. Cette commission est l’auteur du rapport.
Présentée comme une solution d’urgence dans des cas extrêmes, la fin de vie provoquée en fin de grossesse ou après la naissance est en gros dispensée de peine, et même de procès, dans les mêmes conditions que l’euthanasie, hormis la capacité de prendre soi-même une décision éclairée.

Non viabilité?


Le fait de « mettre à mort » avant la naissance un « fruit dont on peut raisonnablement penser qu’il peut rester en vie en dehors du corps de la mère » est puni par la loi pénale. S’il est jugé non viable, l’avortement est autorisé mais doit être signalé et évalué par le Parquet. Si l’enfant est viable mais atteint d’affections fonctionnelles graves sans espoir d’amélioration et qui, sans intervention médicale, conduiraient à la mort, l’avortement tardif est possible, l’intervention médicale (une thérapie) après la naissance pouvant même dans ce cas être considérée comme « dommageable » dans la mesure où elle prolongerait la souffrance. Le médecin s’appuiera sur le fait qu’après la naissance les soins seraient « inutiles ».
Pour ce qui est de l’infanticide, les règlements distinguent entre le « laisser mourir » : ne pas entamer un traitement qui ne servirait à rien chez un enfant de toute façon voué à une mort rapide, ce qui conduit à une « mort naturelle ». Le signalement du cas n’est pas alors exigé (cela vaut aussi pour l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation). En revanche, lorsque le médecin provoque la mort, le signalement est obligatoire, étant posé que les cas doivent se régler le plus souvent possible au sein de la commission médicale, même lorsque les conditions légales n’ont pas été pleinement respectées : les poursuites pénales ne sont qu’un « dernier recours », selon les directives des pouvoirs publics.

Sous-déclaration

Selon le rapport de la commission des scientifiques, les médecins n’ont pas confiance. Ils estiment en général que les conditions auxquelles ils doivent satisfaire ne sont ni assez précises, ni assez larges et ils ont malgré tout peur de s’exposer à des poursuites, surtout dans le cadre de la « terminaison de la vie » des nouveau-nés. Depuis l’entrée en vigueur des règlements actuels en 2007, seuls 7 avortements très tardifs ont été signalés, et seul une « terminaison de la vie » d’un enfant qui venait de naître.
Mais les auteurs du rapport ont indiqué que le nombre d’avortements hors délais pour raisons médicales serait plus proche de 30 par an – c’est une estimation incertaine, qui pourrait selon eux comprendre des doublons, mais en tout état de cause le nombre est sans commune mesure avec le chiffre officiel. Les réponses à un questionnaire diffusé par les auteurs conduit ceux-ci à penser qu’il y a eu au moins 11 cas de « terminaisons de la vie » de nouveau-nés.
Il semblerait, selon les auteurs du rapport, que les avortements tardifs et les néonaticides (appelons-les par leur nom !) aient diminué, « grâce » à la généralisation de l’échographie structurelle de la 20e semaine qui permet de dépister la plupart des malformations graves, l’avortement étant alors pratiqué dans les délais légaux et sans risque pénal. Mais les rapporteurs estiment que le temps nécessaire à l’établissement d’un diagnostic sûr et à la prise d’une décision par les parents est parfois trop court. Ceux-ci se sentiraient « sous pression » et en viendraient alors à prendre la décision d’avorter « sans avoir toute l’information requise quant aux défauts éventuels du fœtus » : avec un peu plus de temps, ils auraient pu décider de ne pas « mettre fin à la grossesse ».
Du côté des médecins, c’est la difficulté de proposer un diagnostic sûr à 100 % qui pose problème, selon le rapport, ce qui les conduit à ne pas accepter de pratiquer un avortement très tardif faute de pouvoir dire avec certitude que l’enfant est voué à mourir rapidement après la naissance. En ce cas, souligne encore le rapport, il arrive que les parents se rendent à l’étranger pour un avortement très tardif.

Souffrances futures

Autre problème soulevé par les médecins : il faut en principe que les souffrances endurées par l’enfant soient « actuellement » insupportables. Ils estiment avoir l’obligation professionnelle de « prévenir » les souffrances graves et regrettent que la réglementation ne laisse aucune latitude pour une intervention de « terminaison de la vie » en vue d’éviter à l’enfant un avenir plein de souffrances ou « sans perspectives ». Ce qui les conduit soit à ne pas agir – soit à ne pas signaler leur intervention.
On voit la nouvelle dérive qu’entraîne un tel point de vue.

Les modifications proposées

Voici donc ce que proposent les deux ministres.
• Faire de la commission d’évaluation le lieu de jugement de dernière instance pour les avortements tardifs de première catégorie (fœtus non viable), sans risque de transmission au Parquet. Il en irait de même pour les avortements tardifs pratiqués pour protéger la santé ou la vie de la mère mise en danger par la grossesse (encore que l’on comprenne mal pourquoi ; puisqu’après 24 semaines de grossesse bien des bébés survivent aujourd’hui à leur naissance prématurée).
• Nuancer les exigences par rapport au diagnostic et au pronostic dont les médecins pensent aujourd’hui qu’ils doivent être certains : il serait précisé que l’on demande « la plus grande certitude possible », ce qui laisse davantage de latitude. Et autoriserait, on le voit bien, davantage d’avortements très tardifs et de mises à mort après la naissance.
• A propos de la souffrance future que les médecins estiment devoir prévenir, les ministres assurent : «  Nous imaginons aisément les dilemmes médicaux et éthiques que rencontrent les médecins dans la pratique. » Ils s’engagent à réfléchir plus avant sur cette question afin que la réglementation s’adapte mieux à la pratique médicale. En s’appuyant, par exemple, sur les exemples qui seront donnés par un signalement plus systématique.
• Les ministres notent qu’il y a un grand flou, une grande incertitude sur la définition de l’euthanasie « active ». Ce flou est en lui-même un fait intéressant : il montre la perte du sens moral qu’entraîne pour le médecin la faculté de tuer. La réponse est fonction de l’intention : intention de tuer, fût-ce pour soulager une douleur, ou intention de soulager la douleur, au risque d’abréger la vie. Sans doute n’est-il pas toujours simple de répondre à cette question. Mais sans ce cadre, c’est quasiment impossible.
• On envisage de proroger le délai légal des 24 semaines lorsque les parents ont besoin de ce temps pour obtenir toutes les informations nécessaires sur l’état de leur enfant, et pour savoir notamment ce que représente pratiquement l’arrivée d’un tel enfant. Les ministres ajoutent (et c’est peut-être la litote de l’année) : « Bien qu’en formulant une nouvelle réglementation nous cherchons, là où c’est possible, d’alléger la pression de la décision à prendre, nous nous attendons cependant à ce que la pression du choix ne puisse être totalement écartée, étant donnée la nature de la décision dont il s’agit ici. »
• Les ministres précisent enfin, pour soulager les craintes des médecins qui ont peur d’être poursuivis pénalement s’ils aident leurs patientes à obtenir un avortement hors délais à l’étranger, que ceux-ci n’encourent pas de sanctions pour complicité dès lors qu’ils peuvent « raisonnablement penser que l’avortement tardif n’est pas punissable dans ledit pays en l’espèce ».
Bref, sous couleur de compassion et de meilleur contrôle, il s’agit bien de faciliter les avortements tardifs et les néonaticides.

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